L’excuse :
J’ai la crève, j’ai mal à la tête, le nez bouché, les bronches
irritées, j’ai fait 5 heures de cours émaillées de deux rapports
d’incident dont un assorti d’une exclusion. En rentrant, une fois n’est
pas coutume, direction le canapé avec devant moi mon verre de Doliprane,
mon grog et la zapette. Le Destin m’amène sur W9 et là, c’est la
révélation. Yeux écarquillés, bouche ouverte, filet de bave à la
commissure des lèvres, je tombe en hypnose devant l’émission à qui je
décerne la palme d’or universelle de la télé-poubelle pour ados
lobotomisés et ménagères dépressives chroniques. Enfonçant de loin la
Star’Ac, Secret Story et autres sous-produits navrants de ce brillant
XXIème siècle, j’ai nommé « Les Ch’Tis à Mykonos ».
Le concept :
Une bande de futurs télé-bière-foot venus des lointaines contrées
brumeuses sises entre Boulogne-sur-Mer et la frontière belge sont
expédiés par la prod’ à Mykonos, « l’île qui ne dort jamais », la petite
cousine grecque d’Ibiza pour noctambules bodybuildés et futurs
handicapés auditifs abonnés aux boîtes saturées de décibels et de
stroboscopes.
Les sympathiques participants sont qualifiés de « rois de la fête »
et se prétendent qui « DJ », qui « barman », qui « danseuse », qui
« mannequin », qui « serveuse ». Nous verrons par la suite le pourquoi
de ces surprenants guillemets.
Si j’ai bien compris le truc, ils font une sorte de jeu de rôle dans
lequel ils singent des saisonniers. Ils doivent « bosser », « faire
leurs preuves », chacun dans sa spécialité. En gros, la prod’ a rencardé
des boites locales aux noms aussi originaux qu’évocateurs tels que le
« Super Paradise » pour « mettre à l’essai » nos amis nordistes, à
raison d’une heure ou deux de « boulot » de temps en temps.
Pis c’est tout. C’est le concept. Pour le reste, se reporter au pionnier « loft story » pour l’art de filmer le néant.
Les critères du casting :
- Etre super bien gaulé(e)
- Avoir le niveau culturel d’un pied de chaise Conforama
- Avoir un QI inférieur à celui d’une huître à l’agonie
- Etre super bien gaulé(e)
Le contenu :
Grosso modo, en calculant à la louche, 70% du temps il ne se passe
rien (les Ch’Tis font du karting, les Ch’Tis font du jet-ski, les Ch’Tis
font une bataille de chantilly et de ketchup, les Ch’Tis se réveillent,
les Ch’Tis se préparent pour sortir en boîte, se coiffent, essaient
moult défroques, se laquent les cheveux, se maquillent, se font les
ongles, se regardent dans la glace, se lancent des coussins, font le
ménage, nagent dans la piscine, se draguent entre eux… bref c’est les
Sims avec des vrais gens).
On va dire que durant 25% du temps ça s’engueule avec un vocabulaire
limité à moins de 100 mots, dont une ribambelle de « voilà », « ça va »,
« grave », « tûûûût » (tintement pudique pour masquer ce qu’on devine
être « couille », « salope », « merde », « cul »).
Les 10% du temps restant sont comblés à 80% par les scènes de boîte
au « Super Paradise » durant lesquelles nos inimitables bivalves
septentrionaux « mettent l’ambiance », « mettent le shogun », « crament
la piste » ou encore « sèment un one-again de ouf ».
Les ultimes 20% (de 10% du total, ce qui fait assez peu), on les voit
« bosser ». C’est là qu’on se surprend à sourire (oui, j’assume, j’ai
souri !). Parce que nos « rois de la fête » sont aussi les empereurs du
n’importe quoi et de la loose. Je ne sais qui est le plus pitoyable
entre le « DJ » qui n’a visiblement jamais vu une platine de sa vie, le
« barman » qui se plante dans les cocktails, le « danseur » qui se fait
pousser dans la piscine par les clients tellement il est grotesque, la
"serveuse" reléguée au ramassage des verres vides mais qui n’a pas le
droit de servir, la « mannequin » qui – malgré une fort jolie plastique –
est plus rigide devant l’objectif qu’une amphore du Vème siècle avant
Jésus-Christ ou la « danseuse » qui se tortille avec une élégance de
phacochère en agitant de soubresauts disgracieux la cellulite naissante
de ses fesses moulées dans un minishort rose fluo qui dissimule à grand
peine ses parties intimes heureusement épilées de frais.
Précisons que les « Ch’Tis » « bossent » environ une à deux heures
par jour (évidemment, comme ils ont « mis l’ambiance » toute la nuit,
faut bien qu’ils fassent la grasse mat’ dans la villa de rêve que la
prod’ a mise à leur disposition). Mais c’est déjà trop. Au bout d’une
heure, ils sont épuisés, cuits, ils soupirent, « pètent les plombs »,
saturent, s’effondrent.
Conclusion :
La télé est à la culture ce qu’est MacDo à la gastronomie.
La télé-réalité est à la télé ce qu’est Lidl à la grande distribution.
Eh bien, tout au fond de ce sac à merde, bien collé au fond, on trouve « Les Ch’Tis à Mykonos ».
Le vide, le néant, l’inculture, la fainéantise et la connerie élevés
au rang d’art télévisuel. J’ai bien dit « art » car lorsqu’on atteint
ces niveaux-là, ça devient artistique, conceptuel.
Que dire de l’intégrale supercherie de ce genre de programme ?
- Que tout est filmé en plans mobiles, ce qui implique la
présence d’une équipe technique en permanence au contact des ectoplasmes
nordiques (contrairement à Loft Story où tout était filmé par des
caméras planquées dans les murs). Ce qui revient à dire que ce n’est
même pas de la télé-réalité malgré ce que cherche à faire croire le
concept (« épreuves », « éliminations »). Non. C’est juste une sitcom
abominablement nulle qui fait l’économie d’acteurs professionnels. Rien
de plus.
- Que le risque est de faire croire à des ados à peu près
aussi décérébrés que les glorieux héros de cette « chose » que le boulot
de saisonnier consiste à bosser (mal) deux heures par jour et à passer
le reste du temps à bronzer, à draguer, à « mettre l’ambiance » dans des
boîtes hyper chères avant de rentrer dormir dans une villa de rêve…
Non, gentil ado, ce n’est pas ça faire la saison estivale. Faire la
saison c’est bosser 10 heures par jour sans compter les « services » que
le patron te demandera de lui rendre « amicalement » après tes heures
(balayer le resto, faire les vitres, sortir les poubelles…). Faire la
saison, c’est se loger par soi-même dans un camping-car surchauffé au
fin fond d’un camping miteux de l’arrière-pays alors que tu fais le
larbin toute la journée dans un quatre étoiles avec piscine, boîte et
bar américain… Faire la saison c’est gagner à peine de quoi bouffer et
payer ton camping. C’est rentrer épuisé le soir et dormir comme un con
au lieu d’aller draguer au « Super Paradise ». C’est être pris pour un
con par ceux « qui paient, donc qui ont droit à… ». C’est se faire
engueuler à la fois par les clients et par le patron. C’est se faire
lourder si on ne suit pas les cadences…
Oui, j’ai regardé « Les Ch’Tis à Mykonos ». Ça m’a même fait marrer parfois. J’avoue, j’assume, je n’ai pas honte.
Mais quand j’ai éteint la télé, j’ai eu beau me dire « tu as regardé
cela avec un recul de sociologue », ça ne m’a pas empêché de me sentir
un peu plus con qu’avant. La télé-poubelle n’est pas seulement un
concentré de nullité. La télé-poubelle est nuisible. Elle ramollit le
cerveau et fait passer la bêtise la plus crasse pour une norme à imiter,
une valeur à intégrer. Ajoutez à cela les quatre coupures de pub et
vous obtenez une arme de destruction cérébrale massive, une machine à
tuer l’intelligence, une fabrique de bons petits beaufs bien dociles à
la tête bien vide.
Putain de XXIème siècle. Dire que quand j’étais gosse je rêvais de l’An 2000…